Luca ou comment ruminer plusieurs jours un événement qui a duré quelques minutes. Parce qu'il y avait été un peu fort dans ses accusations. Parce que si la demoiselle avait du mal à se contenir, enfin s'était trouvée dans l'impossibilité de le faire, lui aurait pu conserver son sang froid et éviter de la blesser. Il savait qu'il y avait été un peu fort et que peut-être sa répartie avait été un peu trop féroce. Et puis, peut-être que finalement June l'était un peu, ce chaton égaré, sous certains aspects. Du moins, au fond d'elle-même. Et donc qu'il fallait, non pas la prendre pour une conne, mais la ménager. Faire attention, se maîtriser quoi.

Ainsi, le brun avait songé à leur dispute pendant quelques dizaines d'heures, enfin pas no-stop mais avec une régularité certaine. Et il en était venu à la conclusion que June serait beaucoup trop fière et surtout vexée pour revenir vers lui. Et même s'ils étaient tous les deux en faute, peut-être que c'était à lui de faire le premier pas. Parce qu'au fond, il avait marqué le coup final avec unec violence non dissimulée. Le problème était plutôt : de quelle façon lui parler sans qu'elle se braque ou, pire, s'enfuie? Un texto? A oublier. Il ne saurait pas quoi dire et n'aurait jamais de réponse. La chopper au détroit d'un couloir? Ouais, sauf qu'il ne connaissait aucune première année susceptible de le guider quant aux amphis que la jeune femme fréquentait. En gros, la seule chose qu'il savait de façon certaine, c'était qu'il la trouverait du côté des Alpha dans la cité U. Pour cela, rien de tel que demander à un pote à lui de le faire entrer avec lui – parce que, oui, les coins des confréries étaient privés. A coup de quelques sourires et demandes convaincantes, Luca alla, trois jours après la dispute et en milieu de soirée, du côtés des alphas dans la confrérie.

Bref, il était environ 22 heures et Luca était installé plus ou moins confortablement sur l'un des fauteuils d'une salle centrale entre les différentes chambres. Son ami l'avait laissé pour aller bosser et, de ce fait, il s'était retrouvé seul. Laissait la place à la question : comment retrouver June au milieu de tout ça? Demander? Pas très discret. Frapper à toutes les portes? Euh, encore moins. Bref, Luca réfléchissait à la solution, ses doigts martelant les accoudoirs au rythme de ses pensées, quand la silhouette de June se dessina au coin d'un escalier. Il leva la tête et eut à peine le temps d'apercevoir que la miss avait enfilé son pyjama (grande classe) qu'elle s'enfuyait déjà.

Alors là ma belle, pas question que tu me fuies !

Le brun se releva d'un bond et s'avança à grandes enjambées en criant – hurlant, en fait :

«  JUNE ! PUTAIN JUNE REVIENT ICI ! »

Les élèves présents sourirent ou haussèrent les sourcils, au choix/ En tout cas, il passa bien pour l'abruti de service, ou plutôt le gars un peu dérangé, avec son accent hyper marqué, fringué d'un jean délavé et d'un t-shirt usé, des cheveux en pétards, qui courrait après une folle en pyjama. Nan, ouais, ils faisaient un duo assez...épique.

Le jeune homme grimpa les marches par 3 et ajouta, en grognant à moitié tant c'eut semblé difficile :

« S'il te plait. »

C'avait été dit avec le quart moins de puissance, sur un ton à la fois grognon et gêné mais, aussitôt qu'il l'eut dit, il le regretta. Après tout, il allait pas non plus se mettre à genoux, hein?

June ou comment avoir des réactions totalement contradictoires en un espace-temps des plus réduits. A peine arrivé devant la chambre de la demoiselle, pas essoufflé le moins du monde, la porte s'ouvrir et June lui sauta au cou. Ce geste eut pour conséquence de le rendre légèrement mal à l'aise mais il la serra, avec conviction mais fébrilement, dans ses bras. Sa gêne venait sûrement du fait que, s'il avait réfléchi longuement à leur dispute, il n'avait toujours pas élucidé ce qu'il pensait à propos d'elle. Enfin, pas totalement quoi. Il la tint dans ses bras deux-trois secondes et eut à peine le temps de la lâcher que la demoiselle clamait déjà:

« Tu m'as.. Manqué. Si Si j'te jure. T'imagines pas. Promis on ne se dispute plus et j'me tais d'accord ? »

Voilà, on y était. Il avait fait le premier pas en venant jusqu'à elle, elle avait fait le second en lui épargnant toute explication. En somme, une dispute de réglée. Mais bien loin d'être oubliée. Luca aurait pu s'excuser explicitement mais il n'osa pas, après tout l'air enjoué de la jeune fille l'en dissuadait plus qu'autre chose. La réponse première qui lui vint à l'esprit ne franchit pas le barrage de ses lèvres. Le simple « toi aussi, tu m'as manquée. » resta bien profondément ancré en lui. Après tout, c'était évident qu'elle lui avait manqué, sinon il ne serait pas venu la chercher, hein? Ce n'était pas qu'il mettait de côté ses paroles, comme elle le lui avait reproché, mais plutôt qu'il les gardait précieusement de côté en attendant d'avoir à s'en servir. Une moue amusée – et touchée, mais bon, ça fallait avoir l'oeil pour le déceler – se dessina sur son visage et il rétorqua – bien loin de lui l'idée de prendre un ton ironique, il allait éviter au moins quelques minutes:

« On a une marge de minimum deux mois avant la prochaine, voire quatre vu qu'on est pas 24h sur 24 ensemble ;'D  Mais on va essayer hein? Enfin devrait pas y'avoir beaucoup d'effort à faire.»

Il inspira rapidement puis, jetant un oeil rapide autour de lui, remarqua que deux étudiants qui passaient leur jetèrent un regard étrange. Ouais, on sait, entre le type dépareillée et la miss en pyjama, en train de discuter avec vivacité DEVANT la porte de la chambre, ils devaient avoir l'air un peu à côté de la plaque. Loin de Luca l'idée de leur balancer une remarque bien désagréable, il se retourna vers June et enchaîna:

« Mais évite de te taire trop, hein? Ca te ressemble tellement pas que j'aurais l'impression d'être avec quelqu'un d'autre! Et honnêtement, j'aime bien la June qui parle trop et qu'est ultra présente. Et puis j'ai eu 3 jours de silence le plus profond, crois-moi ça fait bizarre. Et puis ça saoule vite, en fait je sais pas comment tu fais pour me supporter... »

D'une, peut-être était-ce dû au fait qu'avec June, Luca parlait légèrement plus que d'habitude. Et secondement, ils étaient beaucoup plus liés, après deux mois, que les quelques potes de l'université que Luca appréciait vraiment. Quant aux autres, ils étaient en Italie, donc les dialogues étaient très limités. Bref, June le poussait à ses extrêmes et c'était plutôt intéressant, comme expérience.

Il réfléchit un quart de seconde et questionna :

« Bon. Tu sais c'est pas que j'aime pas la porte de ta chambre – elle est géniale – mais bon les gens nous regardent un peu bizarrement et on risque en empêcher pas mal de dormir. Ca te dirait qu'on se pose ailleurs? Je crois que t'allais fumer, non? Qu'on descende se dégourdir les jambes et s'aérer l'esprit? »

« Ouaip on y va. J'te paye une cigarette ? Mais laisse le temps d'aller me changer je vais avoir froid... »

Le temps que la miss aille se changer, Luca s'appuya contre le mur du couloir. Le brun passa une main dans ses cheveux – ce qui eut pour effet de les emmêler encore plus – de façon machinale. Il eut un soupir de soulagement en réalisant que leur dispute était bien passée et qu'ils pouvaient repartir sur de nouvelle bases. Quant à savoir si elles étaient plus ou moins solides, ça restait à déterminer. En tout cas, elles étaient plus claires, n'est-ce pas? Il allait falloir un peu de temps au jeune homme histoire de réfléchir à ce qu'il attendait vraiment de June. En attendant, il pourrait profiter pleinement de leur réconciliation. C'est sur cette idée que la jeune femme sortit en trombes et l'attira par la main. Ce geste ne le surprit finalement pas tant que ça – venant de June, on pouvait s'attendre à tout, et puis, surtout, ça ne le dérangeait pas vraiment, au contraire. M'enfin ça, il préférait l'écarter trèèès rapidement de sa petite personne torturée des sentiments. Il la suivit donc jusqu'à l'extérieur de la résidence et ce fut seulement lorsque June s'assit que Luca lui lâcha la main et s'installa à son tour, assis sur le dossier et non sur le siège, comme à son habitude.

La miss lui tendit une cigarette et du feu, qu'il accepta avec plaisir vu que lui n'en n'avait pas racheté et que, bon, ça devait faire une vingtaine d'heures qu'il n'en avait pas fumée. Mais bon, son esprit ayant été occupé ailleurs ç'avait été. Bref, il tira une bouffée qu'il inhala profondément. Ses muscles se détendirent presque instantanément, entre la clope, le fait d'être posé et un peu calmé. Il profita du silence de la demoiselle pendant quelques secondes – c'est vrai qu'elle fumait moins quand elle clopait, tiens! Et profita de la nuit encore douce de ce début d'octobre.

Ses pensées revinrent un peu en arrière...Pas trop. Sa vie en Italie était pour lui synonyme d'échec, enfin d'échec partiel puisqu'il avait réussi à la fuir, et il préférait éviter d'y pensez. Depuis qu'il avait émigré aux Etats-Unis, il n'avait eu de contact qu'avec sa mère. Son père, il était presque sûr de n'en entendre plus jamais parler. Quant à sa soeur, elle avait définitivement fait une croix sur eux. Et elle lui manquait, terriblement. Alors il préférait éviter de songer à tout ça, et à ses amis qu'il avait laissés aussi, parce qu'ils lui manquaient un peu trop. Parce que les gens ici n'étaient pas comme lui, ou du moins assez peu. Il s'entendait avec quelques musicos et gens un peu spéciaux, c'était tout. Enfin, et June évidemment.

Briser le silence ou pas? Encore une fois, c'était avec la miss qu'il se sentait en confiance et se sentait prêt à aborder divers sujets, mais c'était risqué, aussi, parce que lancée sur la voie de la curiosité, c'était fichu. Il inspira profondément et décida qu'il n avait rien à perdre. Et puis de toute façon, il était prêt à peu près tout pour éviter de parler, non pas de leur dispute, mais des phrases qu'avaient échappé à June. Il aurait pu dire tout un tas de banalités, aussi : il fait bon ce soir, oh! Tu sais que j'ai tellement de boulot que je vais sûrement passer quelques nuits blanches?, etc. Ouais, sauf que ce serait gâcher l'ambiance. A vrai dire, la première phrase qui lui vint à l'esprit fut : tu sais, nos pauses clope m'ont manqué, c'était moins plaisant sans toi. Sauf que ben, évidemment, cette phrase ne franchit pas le barrage de ses lèvres.

« J'avais 15 ans quand j'ai fumé ma première clope. C'est tard, enfin c'est quand même trop tôt, mais c'est tard, enfin relativement, par rapport aux autres. Je ne sais pas quelle liberté tu avais à cet âge, en tout cas j'étais complètement brimé, entravé, j'avais pas de liberté et je suffoquais. Maintenant je vis seul aux Etats-Unis et j'ai quasi-plus de liens avec ma famille. Je sais pas pourquoi je suis toujours dans les extrêmes. C'est toujours la même chose... Trop, ou pas assez. »

Là, il aurait pu ajouter: « c'est un peu comme avec toi, tu vois, j'ménerve un peu trop vite, j'oublie un peu trop vite, j'mattache un peu trop vite, fin y'a pas de juste milieu.» Mais évidemment, il garda bien sagement la fin de sa phrase. Au fond, il ne savait même pas si June lui répondrait ou attendait seulement qu'il en raconte plus. Ou encore si elle s'en foutait royal. Ne sachant pas trop, il ajouta juste, dans le doute:

« Mais j'imagine que c'est pareil pour tout le monde. On est tous un peu comme ça, non? Trop ceci, trop cela, pas assez ceci ou cela. Jamais comme il faut. »

Et là, normalement, il dit, « désolé, pour l'autre jour. » parce que mine de rien, une excuse ça mange pas de pain et ça met les choses au clair. Et là, contrairement à précédemment, il ne prit pas le temps de réfléchir, juste d'inspirer et conclu sur la même idée, un peu moins explicitement toutefois.

« Et puis voilà, des fois j'suis un peu trop dépendant de mes réactions et je les maîtrise plus. C'est rare, mais t'as testé, quoi. »

Il était conscient que son discours avait mêlé tout et n'importe quoi, les excuses, le passé, les réflexions. Elle en penserait ce qu'elle pourrait et répondrait si elle le souhaitait et, dans le cas inverse, cela ne le dérangerait pas. Déjà, il n'était plus sûr que ce qu'il avait dit pût être compréhensible par quelqu'un d'autre que lui, qu'on le comprenne bien ou pas, en somme que ce soit June ou une quelconque autre personne.

« Mais bon, faut pas chercher je crois, je suis sûrement aussi fou que toi, dans un sens différent. Tu sais que toi aussi tu m'as manqué? Je m'en veux un peu je crois. D'habitude, je réfléchis plus à ce que je dis, et la dernière fois ça m'a échappé, j'ai pas fait gaffe, voilà. C'est pour ça que je te dis que je suis toujours dans les extrêmes. Soit je réfléchis trop, soit pas assez – et puis dans ces cas, je peux être assez con. Voilà...En gros... scusami. »

« Oui, tu es aussi fou que moi et en effet dans un sens différent. En fait moi je suis une hystérique qui parle pour ne rien dire et tout le temps. Et toi un genre de psychopathe qui ne dit jamais rien et se tait en te fixant bizarrement.. »

Y'avait pas beaucoup de gens qui acceptaient de se faire traiter de psychopathe sans prendre la mouche ou même tiquer. Mais dans la bouche de June et adressée à Luca, cette phrase prenait un sens banal, un peu comme si elle avait dit « tiens, il est 22h42.» Mais le jeune homme ne s'en trouva nullement vexé ou blessé. Et puis, elle n'avait pas tout à fait tort non plus, peut-être même avait-elle plutôt raison, à l'exception des derniers jours, comme elle l'avait d'ailleurs fait remarqué. En somme, Luca n'approuva pas d'un signe de tête mais acquiesça d'un regard. Et puis, c'était pas le moment de tiquer sur un mot, parce qu'en ce cas, ils n'étaient pas sortis de l'auberge.

Non, en fait, c'est plutôt la remarque suivante qui mit Luca mal à l'aise. Enfin, à moitié. Disons, qui le perturba, lui qu'était plutôt calme et imperturbable.

« Non, ne parle plus de ça. J'ai dit des choses que je n'aurais pas du dire, parfois qui ont dépassé ma pensée et [...] »

Il écouta la suite et la trouva adorable, mais son esprit s'arrêta précisément à cette phrase-là. Parce qu'elle venait un peu de remettre ce pourquoi Luca s'était senti obligé de s'excuser. Parce qu'il avait cru à ce qu'elle avait dit et que, même s'il avait du mal à s'y faire, même si ça lui ça lui faisait peur, il commençait un peu à se faire à l'idée. Là, elle remettait ses doutes sur pieds, en somme.

Il murmura un « Ouais.» sans conviction.

Il terminait sa cigarette au même moment et du coup, se leva d'un bond las et écrasa son mégot avec violence, enfin disons avec vigueur. Une moue un peu grognon affichée sur le visage il se détendit de quelques pas, se laissant le temps de réfléchir. Disons qu'il n'était plus très sûr de comment agir avec la miss. Il lui jeta un regard peu convaincu et se hissa de nouveau sur le banc, ayant perdu un peu de sa bonne humeur. Ca le démangeait et il ne pu s'empêcher d'enchapiner. Non, vraiment, c'était avec June qu'il allait à ses extrêmes limites et que son humeur allait du plus haut a plus bas en quelques secondes. Il demanda, sur un ton absolument impassible, le regard un peu détourné:

« Tu ne le pensais vraiment pas? Enfin je veux dire...Ouais. Tes mots ont vraiment dépassé ta pensée? Donc y'a des trucs que tu pensais pas... Enfin à mon...Bref non rien, oublie... »

...sujet. C'était la fin de la phrase qu'il avait détournée. Là, pour le coup, c'était lui qui s'était laissé emporté par les mots. C'était fou ce qu'en se laissant aller c'était facile. Mais c'était aussi dangereux que c'était facile...

Ouais, les dés étaient lancés. Paf. Trop tard pour revenir en arrière et, maintenant, il n'allait plus à avoir qu'à accepter la réponse. Accepter ou du moins s'y faire. Il aurait bien entamé une seconde clope mais c'était pas vraiment le moment d'en demander à la miss, alors il s'abstint – contraint – et se contenta de marteler le banc de son pied droit avec une régularité sans feinte, sagement, face à ses propres risques. Bwarf, maintenant ça passait ou ça cassait, et il avait très peur de la réaction de June. Allait-elle genre...S'énerver? Fuir? Démentir? Là, il ne savait plus trop.

Aussi loin qu'il se souvenait, Luca n'avait jamais entendu June parler sur ce ton sérieux et posé, adoptant une attitude à la fois attentive, réfléchie et désintéressée. Pour le coup, il eut vraiment l'impression qu'ils avaient échangé les rôles : c'était lui qui se mettait à parler sans trop réfléchir et elle qui faisait attention au moindre de ses mots. D'ailleurs, cette fois-ci, il prit soin de bien les écouter et les peser, sachant pertinemment qu'ils étaient réfléchis.

« Je n'ai vraiment pas dit ça Luca-Chou. J'ai dit que j'avais dit des choses que je n'aurais pas du dire. Là est toute la différence. Tu sais pertinemment que si je dis des choses, généralement je les penses. Comme par exemple le fait que là, avec ta mèche qui te tombe sur les yeux on dirait Dracula. Mais un dracula mignon, genre. »

Mais vraiment mignon, hein? Parce que Dracula, bon... Un franc sourire se dessina aux coins de ses lèvres, tandis qu'il se concentra de nouveau sur la suite vu qu'apparemment June n'avait rien à faire de sa comparaison - celle-là lui avait peut-être échappé, quand même.

« Je ne me rappelle pas tout à fait, en détail précis ce que je t'ai dit mais si ça te torture à ce point sache que tout, absolument tout est vrai. Je t'aime... Bien Luca. Enfin en fait, ça tu le sais déjà même ce serait plutôt genre je t'aime... Beaucoup ? Tu vois le concept ?... »

Bon. On pouvait pas dire qu'il avait encore de gros doutes mais, là, ça avait le mérite d'être ultra-clair. Le brun avait allumé la seconde cigarette que la miss lui avait donné et il en tira une nouvelle bouffée, fermant les yeux un quart de secondes. Ca ne lui permit pas de réfléchir mais de, disons, faire le vide. Il ne voyait de la demoiselle que sa chevelure blonde et la fumée de sa cigarette mais devinait son air à la fois serein et légèrement anxieux. De toute façon, vu la pénombre, même en face d'elle il aurait presque eu à imaginer ses traits. C'aurait pas été compliqué. Pas désagréable non plus. Et puis de toute façon, il avait son visage ancré dans sa tête depuis un petit bout de temps maintenant. Un peu comme une carte qu'on ressort quand on veut et qui reste intacte, quoi qu'il arrive.

Cette fois-ci, il n'avait plus vraiment le choix... Il pourrait encore grappiller du temps à droite à gauche mais il lui faudrait bien se confronter à ça. Il avait remarqué le changement de June. Enfin peut-être pas suffisamment pour que ça lui vienne clairement à l'esprit, mais il l'avait senti. Pas tant dans ses manières que son regard, d'ailleurs. Ses attentions, sûrement. Son regard attentif qu'il avait remarqué en soirée, aussi. Quant à lui et bien, June, c'était un peu son rayon de soleil. La fille un peu folle, omniprésente et adorable qui était arrivée en début d'été chez cet étudiant mal luné et un peu trop sombre. En gros, elle l'avait sorti de ses habitudes, du moins en partie, et ils avaient passé un été absolument parfait. Amis, bien sûr, et rapidement. Et Luca savait parfaitement qu'il s'était un peu attaché à la demoiselle plus que nécessaire. Ca faisait depuis l'Italie, et quelques temps avant son départ, donc mettons 2/3 ans, qu'il ne s'était pas senti aussi dépendant de quelqu'un. Et puis, cette demoiselle oubliée désormais, il avait dû la quitter un peu avant son départ. Enfin, avait dû...Avait décidé, avant que la séparation fasse trop mal. Bref, c'était surtout ça qu'il redoutait dans June : que le schéma se répète. Alors il avait préféré ne pas se poser de question, la prendre comme une amie et sans plus. Sauf que June, c'était plus qu'une amie, et surtout ça risquait de le devenir. Elle était un peu trop adorable. Un peu trop attentionnée et attachante. Elle lui prêtait beaucoup plus d'attention qu'il n'en n'avait demandé. Bref, y'avait beaucoup de questions qui se mêlaient dans la tête du brun. Il allait prendre la parole quand la miss fit la remarque suivante :

« C'est drôle, je parle rarement aussi bien, aussi calmement, hein ? »

Disons que ça amenait une touche de plaisanterie au milieu d'un discours plutôt sérieux. Il prit soin de répondre avec le même air enjoué et confiant, remettant de quelques secondes ce qu'il avait prévu de dire.

«Là, c'était parfait. Ca te donne un air vachement sérieux, en fait, de parler comme ça. Mais fais attention, on prend vite le goût et si tu deviens comme moi, on risquerait de s'emmerder! »

Il lui sourit puisqu'elle avait légèrement tourné sa tête dans sa direction. Sourire à la fois amusé, ravi et...tendu, comme elle le fit si bien remarquer. En fait, il ne savait toujours pas ce qu'il allait lui dire. Evidemment maintenant, il voyait à peu près la réponse qu'elle attendait. Restait à transmettre son ressenti de la façon la plus juste possible. Et il la remercia infiniment de lui poser la question. Au moins, il n'avait plus d'introduction-préparatrice à faire.

« Luca... Tu me semble tendu... Qu'est ce que j'ai fait, qu'est ce que j'ai dit ? »
« On commence par quoi, ce que tu as fait ou ce que tu as dit? » questionna-t-il avec une pointe d'amusement et, mais ça elle ne pouvait le voir, une légère accélération de son rythme cardiaque. Il n'attendait pas de réponse, évidemment, et un léger silence s'ensuivit. Court. Pas gênant. Pour le coup, il était bien content de ne pas se trouver en face de la demoiselle. Comme ça, c'était très bien. Il regardait le campus se fondre dans la nuit et avait l'impression de parler tout seul. C'était pas bien désagréable et ça faisait moins peur. Enfin, il était conscient qu'à présent June l'écoutait sûrement avec attention et que, malgré tout, il lui faudrait peser ses mots.

« Allez, ce que tu as fait. Je te rassure : rien. T'as rien fait de spécial. Tu vois, tu me prends un peu pour le psychopathe torturé qu'a besoin d'aide et qu'est impassible. C'est sûrement vrai. Mais sache que l'impassibilité n'est toujours véritable qu'en surface. J'ai pas l'impression que tu me voies comme toi, alors que je suis pareil. Enfin, pas le même caractère, pas les mêmes comportement mais, globalement, les mêmes ressentis. Je crois que t'es tombée un peu pile quand il fallait. Peut-être que tu penses que je te vois comme, je sais pas, la coloc' sympa, à moitié folle et avec qui on s'éclate bien. J'vais pas te dire que c'est faux, mais cette vision est quand même incomplète. »

Luca ou comment laisser du suspens... Il prit simplement le temps de marquer une pause, jetant sa cigarette dans la même flaque que June précédemment. Il respira profondément l'air doux de la nuit avant de poursuivre, sur le même ton calme, confiant.

« Ensuite, ce que tu m'as dit... Tu m'as surtout pris de court je crois, parce que j'ai tendance à mettre de côté tout ce s'approche un peu trop des mots : sentiments, et : amie. Enfin, tu vois, j'imagine. On peut pas vraiment dire que ça m'ait perturbé, juste que tu m'as mis dans une position particulièrement délicate. Pour ma part, j'entends. Parce que je l'ai pris comme un ultimatum, genre : "bon, tu le dissèque quand, ce tas d'émotions?" Mais bon, ça a pas été très long et le temps de notre dispute a amplement suffit je pense. En somme, ce que t'as dit, ben c'était juste la confirmation que j'allais pas droit dans un mur. Mais finalement tu sais, je crois que l'horizon fait encore plus peur qu'un cul-de-sac. Parce que la liberté, elle peut partir un peu dans tous les sens. Prendre tous les chemins...»

Sur cette dernière parole il étendit ses jambes légèrement engourdies et la pression sembla s'évacuer d'un coup. Enfin...Presque. Il n'avait pas tout à fait fini, s'il voulait être parfaitement clair. Et puisqu'il était lancé, autant continuer, non?

« Tout ça pour dire que toi aussi tu comptes pour moi. Peut-être même un peu trop. Sauf qu'objectivement, je suis un italien immigré pour ses études, toi une anglaise de passage pour tes études aussi. En gros, j'ai l'impression qu'on n'est que de passage... Je suppose que tu as laissé des gens derrière toi. Moi aussi j'en ai laissé. Et s'attacher un peu trop, vu nos situations, c'est un peu risquer d'ajouter un nom à cette liste. J'ai l'impression que...»

Un étudiant passa devant eux, parlant à son téléphone sur un ton un peu trop élevé pour que Luca continue de parler sur ce ton assez bas. Il marqua une pause et repris, un peu perdu dans le fil de son discours.

« Que...Que toi et moi, on est un peu à l'opposé. Un peu comme si tu ne réfléchissais pas et prenais tous les risques envisageables, et que moi je réfléchissais trop et n'en prenais aucun. Mais dans l'immédiat, je crois que je suis comme toi...Un peu perdu. Enfin, je pense. »

L'Italien, cette fois-ci, marqua son point final - enfin final mais provisoire si la demoiselle lui répondait. Il avait beaucoup parlé. Pour ainsi dire, il n'avait pas parlé mais réfléchi par le dialogue. Mais à dire vrai, maintenant, il n'était plus très sûr que ses révélations aient été bénéfiques. En fait, il n'avait aucune idée d'où cela pourrait les mener, et cela l'agaçait autant que ça lui faisait peur. Du moins, il avait ce poids en moins. Certes, il n'avait aucune idée de la réaction que pourrait avoir June. Mais maintenant, il s'était fait à l'idée qu'il tenait beaucoup, beaucoup plus à elle qu'à une amie. Et aussi que ça lui rappelait un peu trop sa vie en Italie. Mais, sur le moment, il vivait dans le présent, se projetant dans l'avenir en essayant d'évoquer le passé sans s'en trouver dépendant... Pour l'instant.