Au milieu de trois centaines d'étudiants qui se bousculaient pour sotir de l'amphi, Luca, son sac en bandoulière négligemment hissé sur son épaule droite, se faufilait du mieux qu'il pouvait. Plutôt grand et habitué des cours à la fac (et des concerts..) il aurait pu donner quelques coups de coude en réponse aux propriétaires des talons qui lui écrasaient les pieds, mais il n'en fit rien : autant éviter de se faire des ennemis dès son arrivée au campus...Bon. C'était un peu le zoo et la chaleur étouffante de la fin de l'été ne jouait pas en faveur de son mal de tête. L'italien envisageait, après ce premier cours de seconde année d'architecture des plus intéressantsn mais qui promettait déjà un futur boulot double à celui de l'an passé, d'aller se poser dans un coin tranquille. Enfin si l'on peut être tranquille ailleurs que dans sa chambre au beau milieu d'une université américaine... Disons qu'il espérait se poser dans un endroit assez frais avant d'entamer ses cours de l'après-midi. Et puis, peut-être aussi qu'il espérait bien retrouver June.

C'est quelques minutes après la fin de son cours que le jeune homme se trouva propulsé au milieu des couloirs bruyants. Ouais, bon, c'était pas tout ça, maintenant qu'il était libre, le problème était plutôt de trouver un coin sympa. Il se fia à sa connaissance de la fac (cette partie-là, réservée aux secondes années, lui étant inconnue) plus qu'à son sens de l'orientation, persévérant lorsque les couloirs étaient remplis et cherchant ailleurs lorsqu'ils étaient relativement silencieux. Finalement, le brun se retrouva dans le hall, un peu par hasard. Du moins, il était arrivé à cet endroit central qu'il connaissait. Un point de marqué. Le monde grouillait autour de lui, pris dans une dansante animation, et il mit une éternité à se faufiler auprès des distributeurs de boissons pendant que tous les étudiants se dirigeaient vers la cafet' ou la sortie - enfin, plutôt le four que constituait le parc.

Pas vraiment au calme, mais à quelques mètres de l'agitation, Luca chercha du regard une quelconque chevelure blonde qui lui rappellerait June. Parce que, mine de rien, après deux mois passés quasiment constamment ensemble, il aurait bien voulu avoir ses impressions. Comment trouver quelqu'un au milieu de dizaines de têtes, elles-mêmes réparties sur des centaines de mètre carré, et quand la personne cherchée ne fait pas vraiment attention à son portable? Il envoya toutefois un texto à la miss, sans grande conviction. Et puis (miracle), il aperçu la miss à quelques pas de lui..Enfin, quelques pas et ... quelques étudiants. Cette fois-ci il ne prit pas son mal en patience et s'imposa, histoire de pas la louper malgré tout.
SAUF que si lui l'avait vue eh bien elle...non. Elle lui fonça dedans et un rictus moqueur s'afficha sur les lèvres de l'italien, même s'il ne fit aucun commentaire..D'ailleurs, la demoiselle entama tellement vite la conversation qu'il n'aurait pu rien dire.

« Alors, ta rentrée? »

Bwarf, une rentrée? Ou plutôt, le retour du boulot et de la foule. Jamais enthousiaste de ces débuts d'année, l'italien finissait toujours par s'y faire et apprécier le moment présent. Après tout, il n'y avait pas de routine pour un immigré aux Etats-Unis depuis à peine plus d'un an. Rien que la richesse du pays et de la langue à découvrir l'émerveillaient.

« Annonciatrice de travail...Peu de nouvelles têtes et beaucoup de gens déjà las des cours »

Il eut une petite moue tranquille et enchaîna avant de perdre la parole (c'est qu'il commençait à la connaître...).

« Sinon je découvre un nouveau coin de la fac, j'me retrouve aussi paumé que l'année dernière en début d'année, c'est assez flippant. M'enfin, c'est toujours plus drôle de voir les première année et leurs plans ! Quoique t'as mis le même temps que moi pour trouver le hall...félicitations ! »

Il eut un sourire mi-moqueur mi-amical et se décala de quelques pas sur le côté, entraînant June d'une pression sur l'épaule, près du mur, histoire d'être un peu moins bousculé par la foule d'étudiants...

« Et toi alors, tes premières impressions? »

Vous avez déjà rencontré quelqu'un qui parle suffisamment vite pour que vous n'ayez pas le temps de digérer la première phrase que le sujet a déjà changé trois fois? Non? Ben Luca, oui ! Et autant dire qu'il fallait s'accrocher pour suivre. En fait, y'avait deux hypothèses différentes pour mener au même résultat : soit il tentait de suivre, soit il était perdu, mais il finissait toujours par répondre à la dernière phrase de la miss seulement - quand celle-ci n'avait plus de souffle.

June, à ce niveau, c'était un peu son contraire. Il parlait, mais peu et seulement lorsqu'il avait quelque chose de précis à dire. Elle, elle avait toujours quelque chose à dire. Plus ou moins profond mais toujours témoignant de ses pensées, et non pas d'une volonté de combler les blancs. C'était pas qu'il pensait trop et elle pas assez, juste qu'il parlait en silence et qu'elle réfléchissait en bavardant.

Mais bon, l'important, c'était qu'il se comprenaient bien, à ce niveau. Ils étaient souvent sur la même longueur d'ondes et, quand ils ne l'étaient pas, ils se complétaient. Que ce soit au niveau des idées dans leurs discussions ou de leurs activités. Leurs différents parcours, vies et vécu ne pouvaient apporter que du positif. Un jeu à somme positive, quoi.

Et pendant qu'il réfléchissait à cela, la miss lui comptait sa journée. Il choppait les mots clés et comprenait grâce au contexte. Ouais, bon, un peu comme dans un texte dans une langue étrangère...Et bien qu'il ne parlait anglais que depuis peu de temps et qu'il se trompait encore, c'était bel et bien parce qu'il n'avait pas besoin de suivre le moindre fil conducteur de ses pensées pour les comprendre. L'habitude, en quelques sortes. Vivre 24h/24 avec une personne comme June, c'est apprendre à écouter, réfléchir et parler en même temps que quelqu'un d'autre. On dirait pas, mais ça nécessite un entraînement assez intensif...

Finalement, la miss termina sur une question...rhétorique ! Ouais, bien du coup, il ne put qu'acquiescer avec un regard compréhensif, parce que les sujets sur lesquels il aurait pu répondre étaient déjà oubliés dans la mémoire de demoiselle. Comme d'habitude, il s'apprêtait à répondre quelque chose de général, un peu comme une synthèse de tout ce qu'elle venait de dire mais de son propre point de vue quand, cette fois-ci, elle lui posa une question qui en était...vraiment une ! Enfin, presque. Il se jeta quand même sur l'occasion, ce qu'il n'aurait peut-être pas tout le temps fait mais vu qu'il était en forme...

« On ne peut pas vraiment dire que tu parles trop... Il marqua une courte - très courte - pause avant d'enchaîner sur un ton légèrement moqueur : c'est juste qu'il faut fighter pour se faire une place dans la conversation. »

Il lui sourit et commença sa phrase par « Et si...» mais, étant donné que la demoiselle entama la même phrase au même moment, il la laissa continuer. D'ailleurs, sa proposition était plus que justifiée... Il réfléchit quelques quarts de secondes en jetant un oeil autour d'eux, plus par habitude que par réel besoin de savoir où ils étaient.

« Bon. Alors soit on décide d'affronter la chaleur et je te fais visiter un peu le parc, mais bon honnêtement on pourrait tout aussi bien faire ça quand il fera plus frais... Ou alors, on fait un tour par la cafet histoire de prendre un truc frais, ou même juste le distributeur de boissons, et je te fais visiter un peu la fac...Ou encore, ouais bon y'a pas mal de choses à faire, on peut se poser dans un coin tranquilles avant le début des cours... »

Il fixa la demoiselle et ajouta, avant qu'elle ne réponde :

« A vrai dire je te laisse le choix, mais dans tous les cas tu auras un mauvais guide. Enfin, toujours est-il que c'est toi la nouvelle recrue...Je me plierai donc à tes désirs de nouvelle recrue... »

Ajouta-t-il sur un ton franchement plaisantin plus que moqueur. Il se garda bien de transformer la fin de sa phrase en "à tes désirs...d'amie", évidemment. Parce que même si, sur les bords, il était un peu gentleman et se pliait généralement (pas toujours faut pas abuser) au choix des demoiselles, il n'allait pas non plus le reconnaître... Bref, il la regarda, conscient que la réponse ne tarderait pas et qu'elle serait probablement aussi confuse que la question.

« Mon cher Luca...(...) » C'était la première fois qu'elle l'utilisait celle-là, non? En tout cas, si sur le moment l'expression ne le frappa pas, il la casa dans un petit coin de sa tête, inconsciemment. Un peu en prêt-à-ressortir au cas où... Ou "prêt-à-penser". Ca lui reviendrait sûrement lorsqu'il se coucherait et penserait à sa journée. Mais, dans l'immédiat, il se concentra plutôt sur la réponse générale de la demoiselle, bien qu'il ne répondit une fois de plus que par un regard amusé. Toujours est-il que, comme d'habitude, des réflexions très justes témoignaient de la psychologie de la miss, sans qu'elle sans aperçoive. En l'occurrence, son "je me rends pas bien compte". Ca aussi, il le mit de côté. Parce que ça peut être source de malentendus et que, pourtant, ça ne témoigne pas d'un réel problème. Elle était aussi inattentive qu'il était réfléchi, et puis ça fonctionnait très bien comme ça. Quand on réfléchit trop, on comprend peut-être mieux les gens et, de ce fait, sommes plus, ou un peu plus, indulgents. C'est en tout cas le cas du brun qui découvrait encore une nouvelle facette de la jeune femme. Décidément, elle était bien plus que le petit chaton perdu qu'il avait recueilli chez lui en début d'été. Il avait beaucoup de choses à apprendre d'elle, c'était son intuition (pas féminine, nan). Et d'ailleurs, peut-être avait-elle aussi des choses à apprendre de lui.

Comme il s'y attendait, la réponse de la miss était plutôt confuse, du moins pour toute oreille étrangère. Mais au moins, vu qu'elle attendait une réponse, il avait tout le loisir de prendre la parole et donc de tiquer les points qui le tracassaient. Il ne releva pas le coup de "petite amie ou amie", mais ce fut la troisième chose qu'il ajouta, beaucoup plus inconsciemment encore, dans son tiroir "June" qui, décidément, allait finir par déborder. Parce que, ouais, ce genre de réflexions témoigne toujours d'une demande d'attention... Et que ça, même s'il le savait, Luca préférait non pas l'éliminer mais, au moins, le masquer. Parce que s'attacher vite, c'est risquer d'avoir mal encore plus vite. Non, vraiment, c'était inconsciemment qu'il mettait de côté ses sentiments, amicaux ou non, au début. Pas volontairement.

Parce que s'il réfléchissait beaucoup sur les autres eh bien, sur lui, c'était beaucoup plus rare. Et il avait du mal à admettre qu'il pouvait être dépendant. Dépendant des autres. Parce qu'être dépendant de ses parents et de sa soeur l'en avait au final éloigné et qu'il s'en voulait terriblement. Et puis s'attacher, ça rend les départs plus difficiles... Or il savait n'être ici que pour quelques années. Tout ça pour dire qu'il ne releva pas, inconsciemment, cette remarque de la demoiselle. Mais ce n'est pas pour autant qu'il ne la remarqua pas. Ainsi, il enchaîna sur le reste de la conversation quant à lui beaucoup moins psychologique...

« Je ne sais pas, peut-être que pour les premières années...Mais moi j'ai cours cette après-midi, malheureusement. Avoue, t'aurais été fière que j'ai raté un truc, hein, hein? » questionna-t-il avec un grand sourire avant de commencer à se diriger vers la sortie, enfin...vers la foule d'étudiant qui les pousserait vers la sortie!
« Bon alors, écoute... »

Et là, grand moment de solitude. Pour une fois qu'il était certain qu'elle allait l'écouter, un groupe de jeunes écervelées le bousculèrent assez violemment, ce par quoi il répondit par un sourd grognement qu'elles n'entendirent pas. Ouais, bon, la technique « je montre les crocs » quand les autres regardent pas, ça fonctionne pas généralement.

Après quelques autres bousculades ils arrivèrent enfin à la porte d'entrée, et quand Luca s'aperçu qu'un môssieur allait manifestement tout droit sans porter d'attention à June qu'il allait bousculer, le brun l'attrapa par le bras et la tira de son côté. Il le lâcha presque aussi vite avant d'enchaîner, entamant sa marche sur les chemins du parc.

« Si y'a bien un conseil que je peux te donner ici : soit aussi brusque que les autres.. Ici, c'est un peu la culminance de l'individualisme hein... Bref, donc ! Etant donné que tu n'as pas cours mais que moi si, on va se poser dans un coin tranquille avant que je ne reparte, si tu veux bien ? Et ce soir ou demain promis, je ferai ton guide. Enfin si tu ne t'es pas débrouillée pour tout découvrir cette aprem et que limite tu m'apprennes des choses... »

Ouais, parce que s'il savait bien une chose, Luca, c'était que June était débrouillarde. D'ailleurs, elle ne serait pas aux Etats-Unis dans le cas contraire. Lui non plus. Et donc, il n'avait aucun doute quant à son intégration rapide. Mais bon, autant jouer le jeu jusqu'au bout, et puis ça ne lui déplaisait pas, au contraire. Il ajouta :

« Bon, là, j'avoue, vu que tu parlais de se poser, je me dirigeais vers un de mes coins fétiches...Mais du coup, ça élimine d'embler la possibilité de manger, boire ou voir trop de monde... En gros, si on va là-bas, faudra d'abord que tu renonces à tes besoins naturels, et secondement que tu veilles à ce que je survive au mien, le sommeil à tout moment, pour que je puisse retourner en cours à l'heure.. »

Et c'est sur ce monologue (du moins, ce qui sembla en être un à Luca pour qui parler plus de quelques phrases restait peut-être pas exceptionnel mais rare) qu'il marqua le point final, en attendant la réponse de June.

« Mais où est ce que tu vas m'emmener ? Explique ou je reste plantée là je te préviens ! Ah parce que tu comptes me laisser faire la conversation toute seule comme ça et dormir ? Cool merci. Au fait j'adore ton accent quand tu parles anglais je te l'avais jamais dit mais c'est... Heu non rien oublie ce que je viens de dire. C'est relativement bête que tu aies cours cet après midi d'ailleurs. Et si j'oublie de te réveiller ? J'ai pas envie de rester toute seule cet après midi et je me sens mieux quand je suis avec toi... »

Et sinon, elles sont belles mes chaussures hein? C'est marrant comme les oreilles développent une capacité à ne pas entendre ce qu'on n'a pas envie d'entendre, et repérer le moindre faux pas que l'on souhaite entendre. En l'occurrence, Luca développa une passion rapide pour le "je crois que j'ai compris mais je vais faire comme si j'étais con!". C'était peut-être pas aussi clair dans sa tête mais en tout cas, c'était le résultat. Deux paroles avaient échappé à la demoiselle en...une tirade. Vraiment, elle était aussi forte pour faire des gaffe que lui d'ignorer ces mêmes gaffes. Autrement dit, quand l'expression "faire la sourde oreille" prend tout son sens. Mais c'était pas vraiment comme s'il se défilait non plus, après tout elle n'avait fait que parler un peu plus qu'il n'en faut, et il lui avait rendu service en faisant comme si elle s'était contenue...Enfin, rendu service...tout dépend du point de vue, évidemment.

En général, c'était pas dans son habitude à Luca, de se défiler. Il avait plutôt tendance à affronter les choses et les problèmes, mais justement, là, ce n'était pas un problème. Se perfectionner dans une langue en quelques mois? Il avait bossé. Essayer de comprendre June? Bon, ça te dit, un café? Nan vraiment, il aimait les choses claires et précises, pas ambiguës. Et là, c'était peut-être encore trop frais et confus pour qu'il l'analyse clairement. Alors il ne broncha pas, ne fronça pas un sourcil et se contenta d'une réponse nettement plus détachée. Lorsque la miss se retourna, mi-gênée (ce qu'il ne remarqua pas, ou du moins fit semblant de ne pas remarquer) mi-boudeuse, Luca fit un pas de côté et se retrouva de nouveau face à elle (et un peu plus près du magnifique mur mais bon).

« Je sais bien que tu n'aimes pas être seule, mais hein, je peux pas être partout? De toute façon, je suis sûre que vu ta curiosité tu t'occuperas aussi bien sans moi, non? »

Un air désolé, un sourire qui se dessine en coin. Question rhétorique qui malgré tout n'empêcherait peut-être pas la miss de répondre, c'était sûrement pas répondre quand ce n'était pas nécessaire qui lui ferait peur.

« Et puis...ouais, non. J'te dis pas où on va, comme ça le temps que tu le découvres quand je partirai, ben tu te seras occupée une bonne partie de l'après-midi et je me sentirai moins coupable de t'avoir laissée seule ! »

Ou "comment jouer ses dernières cartes pour se rattraper?" Affichant un grand sourire désinvolte, une attitude un peu genre : de toute façon je suis innocent, il enchaîna un :

« Bon, on décolle? Sinon je vais même pas avoir le temps de te perdre que je serai déjà de retour sur les bancs de l'amphi! »

Sur cette dernière réplique, Luca tourna les talons et s'engagea sur le chemin, encore bourré d'étudiants. C'était à double-tranchants, mais à tous les coups elle allait le rattraper en trottinant. Ouais, ou pas, ok ! Pour éviter de se retrouver con, le jeune homme s'arrêta à deux trois pas et ajouta, sur un ton beaucoup plus désinvolte que ne l'était l'intention initiale.

« Bon, tu me suis ou je vais devoir passer ma pause (sans) déjeuner sans toi? »

Ce qui serait dommage après l'avoir cherchée ET trouvée dans un endroit aussi grand...

Ses pensées glissèrent un quart de seconde vers la remarque de la miss quant à sont accent... A vrai dire, il détestait parler avec un accent. Les gens le complimentaient mais lui, il aurait souhaité se fondre un peu plus dans la masse, parce qu'avoir la même conversation avec tous les gens qui le croisaient l'agaçait un peu. On le complimentait sur ce qu'il jugeait être une faiblesse puisqu'il n'arrivait pas à chopper l'accent américain. Mais un coup de sac à main le fit revenir à la réalité et il s'écarta d'un pas, espérant que la demoiselle se dépêcherait.

Malentendu. Ouais, on peut appeler ça comme ça je pense. Disons que, de façon générale, Lucas n'était pas du genre à dire n'importe quoi à n'importe qui. D'ailleurs, il n'était pas du genre à dire grand chose... Mais bon, c'est comme la technologie, y'a toujours un truc qui fonctionne pas quand il faudrait que ça marche. C'était un peu la même situation. Le but initial du brun n'avait évidemment pas été de blesser la demoiselle...A vrai dire, c'était pas qu'elle était susceptible mais...un peu quand même. Ou alors il y était allé un peu fort. Ou encore un peu les deux, le tout pour un mélange plutôt extplosif. Toujours est-il que la réaction de June étonna beaucoup plus Luca qu'il n'en laissa transparaître. Parce que, comme toujours, il resta des plus flegmatiques et ne bougea pas d'un poil. Pas d'un sourcil qui se hausse, pas d'un coin des lèvres qui s'étire.

La jeune femme n'avait pas compris son humour. Ca, c'était peut-être parce qu'il avait ignoré ce qu'elle avait laissé échappé, et que peut-être elle aurait aimé qu'il relève. Ouais, mais nan. Du coup, ça l'avait énervée, et le moindre faux pas avait été mal pris? En tout cas, cela l'agaça un peu. Pas suffisamment pour le mettre en colère évidemment. Parce que même dans l'incompréhension la plus totale il haussait rarement le ton. Parce que même dans les situations les plus délicates il gardait son calme et analysait froidement la situation. Alors pourquoi est-ce qu'il s'énerverait pour un...malentendu? C'était sans aucun effort qu'il restait impassible. Naturellement. Sauf que cette réaction avait la fâcheuse tendance à agacer les gens qui s'énervaient autour. Dangereusement.

« Pardon ? Ben ok. Je ne vais pas faire ma... Godiche à t'attendre tout l'aprèm vu ? Et comme si t'allais te sentir coupable. M'étonnerait que tu en sois capable déjà. »

Le brun se rapprocha de nouveau de la jeune femme, un tantinet moins volontaire qu'avant. Nettement, en fait. Quelqu'un de spontané et agressif aurait sûrement répondu à ce semblant d'attaque par une attaque lus violente. Quelqu'un de spontané et flegmatique comme Luca n'aurait pas répondu. Debout à côté de la miss, statique, il attendit que, d'elle-même, elle continue. Ou arrête. Il réagirait en conséquence. Pour l'instant, il ne souhaitait pas se manifester et – éventuellement – envenimer la conversation. Il aurait pu jeter un oeil à tous les étudiants qui passaient, à la fac ou aux oiseaux, mais il se contenta de fixer la demoiselle d'un air à la fois distrait mais à l'écoute. Les yeux dans le vague et les oreilles à l'affut, quoi. Attentif.

« Tu es vraiment... Pff. »

Vous connaissez beaucoup de monde qui se ficherait royalement de cette remarque? Ben Luca, lui, sembla la prendre comme si elle lui avait dit le plus beau des compliments. En apparence, évidemment. Il ne rétorqua rien, son regard était clairsemé d'une incompréhension partielle. C'est à peu près à ce moment-là de la conversation, toutefois, qu'émergea dans son esprit la phrase de sa conscience « Ne dis rien. Reste calme. TAIS-TOI ! » alors que, quelques secondes plus tôt, il le faisait inconsciemment. Là, un effort semblait lui être nécessaire. En gros, cette remarque l'avait touché... Il s'était mal exprimé. Elle avait mal compris ce qu'il avait mal dit. Et puis, maintenant, il était un peu trop tard pour revenir en arrière. Il garda son calme, conscient malgré tout que si, d'ici quelques secondes, il ne disait rien, June reprendrait la parole. Et c'était peut-être bon ni pour elle, ni pour lui.

« Ok...ok! »

Ou comment annoncer qu'on va parler mais ne rien dire. Gagner du temps, quoi. Parce que s'il savait qu'il devait dire quelque chose, il n'avait pas la moindre idée de la parole qui pourrait calmer la situation. Il n'était évidemment pas question de s'excuser, pas pour une broutille comme ça... L'humour, on pouvait éliminer d'emblée – imaginez ne serait-ce qu'une seconde qu'ils se comprennent mal et imaginez le désastre. La colère, c'était même pas envisageable. Alors, et c'était prévisible, Luca fit ce qu'il savait faire de mieux, à savoir synthétiser tout ce qui venait de se passer en une phrase claire, précise et qui serait dite sur un ton parfaitement détaché. Même s'il était tout sauf impassible. C'était un peu deux contraires à ce niveau, elle réagissait double et lui moindre. Enfin, tout ça pour dire qu'il tenta de rattraper le coup comme il pouvait...C'est à dire maladroitement.

« Ok. Donc. Tu sais... Enfin si tu continues de fixer le mur tu saura pas grand chose.. Et puis merde, c'est pas ce que je voulais dire, ça ! Tu veux pas me suivre? Enfin, tu veux PLUS me suivre... Et.... »

Ouais ben pour rattraper le coup, on repassera !

« T'es...sûre? » ajouta-t-il sur un ton plus faible, qui laissa percer un tremblement dans la voix. Presque imperceptible. Un tremblement d'agacement, de déception peut-être aussi. Mais bon, ça, elle ne le remarquait sûrement pas. Il aurait pu ajouter un « dommage » sur le même ton, mais il n'en fit rien. Pour résumer, une tension presque palpable régnait entre les deux jeunes et Luca n'avait pas la moindre idée de l'attitude à adopter, sans compter qu'il lui fallait aussi se dominer face aux attaques de la demoiselle. En fait, le vrai problème venait surtout du fait que Luca ne comprenait vraiment pas pourquoi la miss avait réagi ainsi face à ses remarques qui n'étaient nullement méchantes, tout au plus ironiques. Peut-être que, s'il y avait réfléchi, il aurait compris qu'elle attendait sûrement beaucoup plus de lui que de simples remarques ironico-désagréables. Mais bon, il avait décidément décidé de ne pas réfléchir trop au sujet de June. Sur sa vie, sur ses idées, autant qu'elle le voudrait. Mais pas sur ses sentiments, parce qu'il préférait faire comme si elle n'en avait pas, dans l'immédiat ça lui évitait beaucoup d'y réfléchir. Il soupira, faiblement. En combien de temps la situation avait-elle tourné? Quelques secondes, quelques phrases?

« Bon.... »

Ouais ben « bon » rien du tout, en fait il faisait comme s'il allait parler en espérant désespérément qu'elle lui couperait la parole. Parce qu'il n'avait vraiment plus aucune idée de ce qu'elle pensait, vu qu'apparemment ça changeait vite...Un peu comme quand elle réfléchissait, sûrement. Pas facile à suivre.

Perplexe? Ouais, c'était le mot qui convenait le mieux pour définir Luca actuellement. Peut-être un peu choqué, aussi. Pas las. C'aurait été un peu compliqué d'être las de June quand elle commençait à s'énerver parce que c'état quand même du grand spectacle. Du grand spectacle un peu agaçant, quoi. Ainsi donc, Luca était resté totalement perplexe de l'attitude de la miss. Sa tirade avait été plus que longue et, surtout, plus que riche en informations... En découvertes nettement plus explicites. Mais comme toujours, le problème avec June était qu'on n'avait pas le temps de répliquer. Pas le temps de réagir, vocalement du moins. Et donc, il s'était contenté de l'écouter, sans l'interrompre. Et pourtant, c'était pas l'envie qui manquait. Juste de lui dire un « stop. S'il te plaît, stop! » Pas parce qu'elle continuait de l'agacer – ça, il était largement capable de le supportait – mais parce que ses révélations lui faisaient peur. Un peu trop peur.

Il la fixa sans un mot, patient, prenant sur lui en attendant simplement qu'elle termine. Qu'elle vide son sac et qu'il réagisse en conséquences. Mais bon dieu ce qu'il n'avait pas envie de réfléchir trop à ça. C'était beaucoup plus simple de ne rien dire que de parler. C'était beaucoup plus simple de réfléchir sur les trucs sans conséquence immédiate. Sauf que maintenant, y'avait plus besoin de réfléchir, vu qu'elle lui avait tout balancé cash. Somme toute, il lui serait désormais difficile de faire la sourde-oreille.

Bref, elle termina sa longue tirade par cette réplique:

« Voilà. Maintenant, oublie okay c'était juste pour genre vider mon sac. Vu? »

Un peu genre « bon, je t'ai dit tout ce que je pensais mais s'il te plaît fait comme si t'avait rien entendu! » sauf qu'évidemment, si Luca parlait peu quand on attendait qu'il parle, il pouvait aussi lui arriver de parler quand on attendait qu'il se taise. Et qu'elle commence à partir juste après ses paroles, sans lui laisser le temps de réagir, fit remonter la colère qui s'était transformée en béatitude avec ses paroles. Bref, un peu un retour en arrière quoi. En trois pas, l'italien avait rattrapé la demoiselle et s'était placé devant elle, histoire de faire barrage. Le problème, c'était qu'il ne savait pas par où commencer.

Comment expliquer clairement qu'elle chose qu'on pense confusément, hein? Parce que si dans la tête de June ce qui concernait Luca était clair, l'inverse n'était pas évident. Parce que pour lui June, c'était surtout un chaton égaré dont il avait fallu s'occuper. Enfin, au début quoi. Mais bon, rapidement c'était un peu devenu une colocataire plus qu'une réfugiée. Deux égaux avec leur caractère et leurs sentiments. Et puis June, c'était un peu un mélange explosif. Un brin de folie et de je m'en foutisme, de l'intelligence, du répondant et pui encore de la folie. Ouais, un mélange un peu explosif mais franchement attachant. D'ailleurs, c'était pas pour rien qu'après quelques heures de séparation pour l'université il l'avait recherchée. Juste parce que, voilà, après deux mois 24H sur 24 le vide pouvait se ressentir, et même au milieu de dizaines d'autres personnes. Parce que June, c'était pas le genre de personne qui s'efface. Et quand on s'habituait à sa présence, on s'habituait à faire un peu tout ce qu'on faisait d'habitude mais en la gérant à côté. C'est-à-dire en l'écoutant un peu plus qu'à moitié et répondant de temps en temps.

« Tu penses pas m'en demander beaucoup? »

Se rendant compte que ses paroles n'amèneraient pas franchement à quelque chose, il enchaîna.

« Je veux dire, me balancer un tas de chose, entre les reproches et les compliments, puis me demander de faire comme si de rien n'était et fuir? Au fond, tu me reproche de ne rien dire mais toi, tu parles et puis tu te casses, c'est pas franchement mieux, hein? »

Non, c'était pas d'agresser June qu'il avait eu pour idée initiale. Plutôt..Plutôt rien. Parler. Pour une fois, faire part de ce que lui ressentait. Mais pas trop non plus. En gros, lui dire ce qu'il lui reprochait sans ajouter ses sentiments personnels. Du moins, pas encore. Avant qu'ils ne lui éhcappent... Il inspira profondément, sans lâcher la demoiselle des yeux, un peu genre : « bon, maintenant tu dis quoi? » Sauf qu'il ne lui laissa le temps de rien rétorquer parce que là, ouais, ben sinon il était pas sorti de l'auberge.

« Alors moi aussi j'pourrais te balancer tout ce que je pense comme ça, me casser et puis rien. Sauf que non. Alors j'vais juste rien te dire, puisqu'apparemment j'suis super doué pour ça. De toute façon, apparemment t'en as un peu rien à faire de ce que j'aurais pu répondre, vu que tu t'es barrée alors...Voilà. »

Les sourcils froncés et les bras ballants, Luca eut une moue mi-désabusée mi-agacée. Au fond, il ne bouillait plus. Il avait juste un peu envie de...calme. De retourner à son état naturel dans lequel il parle...Moins. Encore moins sans réfléchir et pour faire des reproches qui servent à rien. Alors bon, cette petit dispute était au moins révélatrice d'une chose : June parvenait à le mettre dans tous ses états. Au sens négatif comme positif, après tout. Mais bon, le truc c'est qu'il ne le maîtrisait pas et ça, c'était pas franchement pratique. Il détourna les yeux quelques secondes et son regard noir se dirigea inconsciemment vers quelques-uns des étudiants encore présents qui lui répondirent par une moue d'incompréhension. Se reprenant, il se tourna de nouveau vers June, hésitant entre ajouter quelque chose qui tournerait au vinaigre, se taire et attendre ou partir. On éliminait la dernière solution parce que, franchement, ça lui ferait perdre tout crédibilité. Se taire ben...Ouais, nan. En gros, fallait qu'il ajoute quelque chose.

Et, cette fois-ci, il choisit de réfléchir un quart de secondes avant de lâcher n'importe quoi. Inspire, expire, et dis quelque chose de pas trop con. De pas trop compromettant non plus..

«Voilà. Donc en gros, tu me fais une super tirade genre toi t'as des sentiments et moi je suis placide et de pierre. Sauf que non ! Moi aussi je pourrais te balancer tout ce qui me passe par la tête, genre « ouais, tu t'énerves pour rien, je te comprends pas d'ailleurs je crois pas que tu soit compréhensible pour quelqu'un d'autre que moi. Tu sais sais que t'es à croquer quand tu t'énerves? Et puis d'ailleurs toi aussi tu m'agaces, à être ultra sensible et plus susceptible que possible. » Etc... Tu vois, c'est pas compliqué hein? Même moi j'en suis capable... »