Une journée de plus. Ce n'était rien qu'une journée de plus. Depuis le moment où je m'étais réveillé, jusqu'à l'instant présent, je n'avais vu personne. C'était assez étrange d'ailleurs. Je voyais toujours quelques musiciens, avec qui j'avais pris l'habitude de boire un café ou de jouer un peu, en attendant le début des cours. Mais là ... personne ! J'étais peut-être extrêmement en avance. Oui... ça devait être cela !

La preuve... au bout de quelques minutes, ce fut une foule qui arriva par les portes d'entrée. La cohue. L'enfer des agoraphobes. Soudainement, ce fut des centaines de voix que j'entendis parler en même temps, ou rire par exemple. Je regardai autour de moi, essayant de retrouver mes amis au milieu de ce flot d'étudiants. J'évitais de trouver Jude, je n'étais pas d'humeur à me faire mal aujourd'hui. Alors que j'avançais vers le milieu du hall d'entrée, je vis une jeune femme brune, un étui à la main. Elle regardait tout autour d'elle et semblait assez perdue. Je souris. Encore une nouvelle qui ne savait pas où aller. J'étais seul... autant aller l'aider ! Je la hélai d'une voix forte.

- Eh ! Tu as besoin d'aide ?

Lentement, la jeune femme se tourna vers moi. Je détaillai rapidement son visage pour bien l'imprimer dans ma mémoire et la fixai en souriant.

-Oh merci. Je veux bien. Je débarque seulement et je suis un peu paumé.

J'aurais pu le deviner seul. A son intonation, je devinais qu'elle était anglaise. Tout comme moi ! Ce qui éveillait mon attention. Nous devions être les rares anglais de la Great Academy. Une petite communauté bien intégrée. Hormis le fait qu'on ne comprenne pas forcément tout ce que les gens souhaitaient dire au premier abord, on s'intègre plutôt bien ici. La preuve... je n'étais jamais seul. A part ce matin ... bon, c'était parce que j'étais en avance ! Et je n'étais plus seul maintenant. J'avais... Euh ...

- Comment tu t'appelles au fait ?

Sans attendre sa réponse, je lui tendis la main afin qu'elle la serre et lui appris mon identité :

- Moi, c'est Scotty. Je viens de Stockport ! Je crois comprendre que tu es anglaise, c'est bien ça ?

J'étais curieux, oui. Ce n'était pas de ma faute. Si je pouvais retrouver un peu de ma civilisation natale, je prenais. Non pas que je n'aimais pas la culture américaine, je l'appréciais, en même temps, je n'avais pas le choix... mais je préférai mon pays ! J'avais eu beaucoup de mal à m'y faire.

La jeune femme semblait totalement ravie par le fait que je sois anglais. Il était vrai qu'elle devait également être plutôt étonnée. Elle venait d'arriver et elle rencontrait un anglais. Il y avait de quoi penser à une théorie du complot. Cette idée me traversa la tête comme une fusée, mais je ne m'attardai pas tellement dessus, c'était bien puéril.

-Je suis Jenny Winston et je viens de Cambridge. Ravi de voir que la première personne à qui je parle soit un anglais !

Je souris à mon tour. Nous étions sur la même longueur d'onde, c'était bien ! C'était tout de même assez étrange. Le monde était si petit que cela ? Hum... Je ne pensais pas que je puisse trouver quelqu'un d'Angleterre ici. Pour l'instant, de toutes les personnes que je connaissais, elles étaient majoritairement américaines. De différents états, bien entendu, mais toutes ou presque américaines. C'était pour cette raison principalement que j'avais eu ce foutu mal du pays, au début de l'année. La première année où j'étais arrivé. Pendant quelques jours, à n'entendre que des accents bien américains, j'avais eu beaucoup de mal à garder mon sang-froid. Mon pays me manquait. Stockport me manquait. Et puis, finalement, au bout d'une petite semaine, j'avais réussi à bien m'intégrer. Aujourd'hui, il fallait juste m'entendre. Autant je ne reniais pas mes origines pour le moins du monde - j'aurais préféré me tirer une balle dans la tête que de faire une chose pareille - mais autant je parlais comme eux. J'accentuais plus certaines syllabes que d'autres, comme on aurait pu le faire dans mon pays. C'était assez bizarre, j'en conviens. Mais c'était ainsi. Et je m'y étais habitué.

- Tu joues de la basse ? lui lançais-je en désignant son étui.

Si en plus, elle était musicienne et venait ici pour étudier la musique, tout comme moi, nous allions vraiment bien nous entendre. Et je ne demandais que cela. Avoir une amie anglaise au sein de l'Université. En fait... peut-être que certains de mes amis étaient anglais, mais que je ne le savais pas. On ne prêtait pas souvent attention au passé, à l'histoire et aux origines des gens ici. On était plutôt à fond dans le présent, et l'avenir également... d'où le besoin d'aller en cours, bien entendu.

- Je fais de la guitare électrique. Je compose. C'est pour ça que je suis ici !