Judith était assise. Sur son lit. Autour d'elle, les valises s'entassaient presque. Le regard perdu dans le vide, elle tenait un téléphone dans sa main droite. Ce cellulaire, c'était le sien. Elle hésitait. La jolie étudiante aurait dû être entrain de s'enthousiasmer. Des vacances ! Voilà à quoi elle allait avoir le droit. Et pas n'importe où. À Paris. Mais alors pourquoi arborait-elle un regard aussi triste ? Pourquoi son rimmel avait-il coulé ? Judith ne bougeait pas. Telle une statue, elle se persuadait que ce qu'elle s'apprêtait à faire était la bonne chose. Qu'elle n'avait pas le choix. Il était temps... Elle était fatiguée. Son regard se dirigea doucement vers les valises l'entourant. Elle ne sourit pas. Son regard gardait cet aspect sans vie et son visage ne s'était pas illuminé. C'était comme si la vraie Judith était partie pour laisser la place à une jeune fille résolue dans la peine de son prochain appel. À vrai dire, faire une telle chose par téléphone la rendait malade. Mais elle n'avait pas le choix. Le regarder droit dans les yeux aurait été trop difficile. Et puis, elle savait que lui aussi s'apprêtait à partir en vacances. Il ne s'était pas gêné. Alors pourquoi ne pas en faire autant. Ce n'était pourtant pas ce sentiment de culpabilité qui la rongeait. C'était autre chose. Un sourire. Des regards. Qui ne lui étaient pas destinés. Judith se dit qu'il était temps. Elle devait le faire maintenant, avant que tout son courage s'en aille au loin lui aussi. L'alpha porta doucement ses bras à une hauteur raisonnable pour voir ce qu'elle faisait et commença à voyager dans le carnet de contacts de son HTC. Ses mains tremblaient si bien qu'elle ne parvint pas à faire correctement glisser la page défilante et elle appela quelqu'un d'autre. Par erreur. Fort heureusement, elle parvint tout juste à raccrocher avant que la première sonnerie ne se fasse entendre à l'autre bout du fil. Elle s'excuserait plus tard. Lâchant le téléphone, le laissant errer sur la couette de son lit, Judith se leva. Elle fit quelques pas vers sa fenêtre puis se retourna vers l'instrument qui la rendait si nerveuse. Elle aurait tant voulu ne pas avoir à faire une telle chose. Elle aurait voulu que tout se passe bien dans le meilleur des mondes. Que ces sentiments qu'elle pensait un jour développer pour lui deviendraient si forts qu'elle trouverait la force de s'accrocher dans n'importe quelle épreuve. Mais c'était une erreur. Une monumentale méprise. Ces deux-là s'aimaient. Mais pas suffisamment. Il en aimait une autre. Elle l'avait toujours su. Mais elle s'était dit que peut-être, puisqu'il avait été le premier à faire un pas en amont de leur relation... Encore une fois elle s'était trompée. Mais comment lui en vouloir ? Elle-même savait que ce qu'elle ressentait pour lui n'était qu'un sentiment amical. Puissant, mais amical. Elle avait seulement tenté d'oublier une relation antérieure. La relation. Ce fut sans doute la même erreur qu'elle avait commise en cédant à l'attraction qu'elle avait ressenti pour Aaron. En réalité, c'était à elle qu'elle en voulait. Judith se détestait d'être aussi faible. Elle ne voulait plus passer pour la victime. Pourquoi avait-elle accepté de se laisser embarquer dans une pareille histoire ?! Un trio amoureux vous direz-vous. Et bien vous avez raison. C'est exactement cela... Et Judith ne pouvait plus batailler. Elle avait perdu... Il y avait bien longtemps. Dès le départ à vrai dire. Mia avait gagné. Il suffisait de voir les regards qu'il lui lançait... De voir qu'il aurait sans doute pris sa défense dans n'importe quelle situation. Oui... C'était pour elle que son cœur avait fait son choix. Et rester bloquée dans un pareil triangle n'allait que la faire souffrir d'avantage. Jake ne pouvait même plus la toucher sans voir le visage de Mia à sa place. Car oui, cela, elle avait fini par le remarquer. Le comprendre. Était-ce trop tard ? Pour elle, il semblait que oui.

La jeune femme se traina jusqu'à son lit, se saisit de son téléphone portable et alla directement chercher Jake dans les derniers numéros appelés. Comme un signe, il ne figurait même pas dans les premiers. Judith ne souriait toujours pas. Cette envie s'était évanouie pour quelques jours. Le lendemain, elle prendrait l'avion, espérant oublier cette histoire pour une semaine et demie. En était-elle capable ?

Première sonnerie. Deuxième sonnerie. Troisième. Quatrième. Cinquième... Judith finit par atterrir sur le répondeur de Jake. En réalité, celui-ci avait la tête enfouie dans les valises et s'était dit que si cela était vraiment urgent, la personne aurait laisserait un message. Un message qu'il allait écouter en temps réel. Judith sentit sa gorge se serrer. Elle lutta pour prononcer les banalités d'usage. Comme se présenter.

« Salut Jake... c'est moi... Judith... Ta petite-amie... ou ton amie, bref. Je... Je voulais t'appeler parce que... je ne sais pas comment te le dire autrement en fait. Et ça tombe pas plus mal que je sois tombée sur ton répondeur. Je n'aurais jamais pu te dire ce que je pense vraiment si tu... je... Jake. Je suis désolée. Je ne peux pas continuer... Sa voix se brisa et elle due reprendre son souffle. Jake... cette histoire... nous... je voudrais qu'on arrête. On se fait du mal. Je veux dire... Une fois de plus le souffle lui manqua. Sa voix tremblait. Je vois la façon dont tu me regardes. Et ensuite... J'entends de nouveau ce que m'a dit Mia et... Je vois comment tu la regardes. Je le savais. Tu ne me l'as jamais caché. Et je pensais que je saurais... tu sais... encaisser. Mais la vérité c'est que... Je ne peux plus. C'est au dessus de mes forces. Les larmes commençaient déjà à rouler le long de ses joues. Ce n'est pas de moi dont tu es amoureux Jake. Mia avait gagné avant même que je n'sois dans les parages. Tu l'aimes. Elle t'aime. Ça ne devrait pas être plus compliqué que cela... et... La vérité c'est que j'suis là, entre vous. Et que... Je mérite mieux. Tu mérites mieux... Alors... je pense qu'on devrait s'dire au revoir. »

Judith marqua un temps d'arrêt. Elle était certaine que la bande continuait à enregistrer son message.

« Je suis sûre que tu comprends Jake... Et je voudrais que tu écoutes la piste numéro 15 de l'album. C'est... une chanson que j'avais écrite quand... en fait elle parle de toi. Je voudrais juste... que cette histoire soit définitivement terminée. Que... si un jour tu tombes dessus par hasard, tu ne te dises pas : peut-être cette chanson était pour moi. Comme ça tu sais et... on peut tirer un trait. [...] Et je... préfèrerais que tu ne m'appelles pas... Laisse-moi un peu de temps... Je serai à Paris. Je... fais bon voyage. Je te souhaite de... Je... au revoir Jake. Je t'aime... Tu resteras mon... ami... Mais... Je dois te laisser. C'est mieux comme ça. »

Judith raccrocha. Elle regrettait déjà d'avoir prononcer ces deux derniers mots. La jeune femme s'assura que son portable était bien en mode vibreur. Elle se coucha entre les valises, ferma les yeux et tenta de trouver le sommeil. Rien qu'un instant... Elle voulait dormir. Dormir pour ne pas se réveiller avant le départ... Elle voulait... Mia avait gagné. Elle avait fait de son mieux. Mais la bataille avait été perdue d'avance.

Aux petites heures du matin, Judith se rendrait à l'aéroport. Ses deux valises tenues fermement dans les mains. Elle enregistrerait ses bagages. Embarquerait. Et partirait en France. Quoi qu'ait eu ce coup de téléphone comme incidence dans sa vie, elle n'en parlerait pas. Personne n'entendrait parler de sa rupture avec Jake. Du moins, pas de sa bouche et pas avant son retour.